Reproduction avec l'accord de l'auteur, Jacky Mamou
Président du collectif Urgence Darfour
(Ndr : Jacky Mamou est médecin et a été président de Médecins du Monde de 1996 à 2000. Il est actuellement président du Collectif Urgence Darfour).
Publié le 04-07-2014 in Le Nouvel Observateur - Le Plus
Source original : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1220956-affaire-bnp-et-si-la-banque-n-etait-pas-la-victime-que-l-on-pretend.html
La BNP, sous le coup d'une enquête pour avoir contourné l'embargo américain sur certains pays, devra débourser 6,45 milliards d'euros d'amende. Un montant colossal, et même historique, contre la banque qui a plaidé coupable. Notre contributeur, Jacky Mamou, président du collectif Urgence Darfour, donne sa version de l'histoire. Et pour lui, la banque joue avec le feu depuis trop longtemps.
Édité par Akhillé Aercke
"Dans tous les pays où notre entreprise est présente, l'un de ses actifs les plus précieux est sa réputation tant à l'égard de nos clients, de nos contreparties que de la collectivité : la maintenir à un haut niveau est une condition essentielle de la prospérité et de la pérennité de BNP Paribas."
Voilà donc la profession de foi affichée sur le site de BNP Paribas. Le groupe bancaire français, le premier en Europe, prend vraiment les gens pour des imbéciles.
Le Ministère de la Justice américaine a révélé en effet que la banque française avait effectué des transactions financières en dollars via sa filiale suisse avec le Soudan, l’Iran et Cuba.
Or c'est interdit par la législation des Etats-Unis, qui ont mis ces pays sous embargo. La banque française a reconnu sa culpabilité afin de négocier l’ampleur des sanctions de l’administration américaine.
Un trafic financier pour la vente d'armes ?
Le montant de ces opérations délictueuses serait de 10 milliards de dollars, dont 8 pour le seul Soudan. Ces sommes sont issues pour l’essentiel de ventes de pétrole soudanais à des sociétés chinoises. De nouvelles révélations ont été rendues publiques sur le véritable montage frauduleux qui a été mis en place.
Tout un système de codages et de transits des sommes par des banques régionales a été mis à jour. Dès lors, la bonne foi des dirigeants de la banque ne peut plus être invoquée, pas plus que leur soi-disant ignorance de la loi des Etats-Unis.
Les enquêteurs américains ont indiqué que ces flux d’argent soudanais provenaient également d’officiels du régime et que des investigations étaient menées pour savoir si des ventes d’armes étaient concernées par ce trafic financier.
Avec cette affaire, la "réputation à l’égard de la collectivité" de la BNP en prend un sérieux coup. En effet, le Soudan n’est pas un simple régime autoritaire avec qui on peut "quand même" faire des affaires en se bouchant un peu le nez. Son président Omar el Béchir et plusieurs dirigeants du pays sont poursuivis par la Cour Pénale Internationale pour crimes contre l’humanité et génocide.
Des violations récurrentes des Droits de l'homme
Son gouvernement est un adepte de longue date de la violence génocidaire. Jusqu’à 2005, il a mené une guerre d’une sauvagerie inouïe contre ce qui est devenu ensuite le Sud-Soudan, faisant 2 millions de morts et 4 millions de déplacés et de réfugiés.
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20140628.AFP0705/le-soudan-dechire-par-les-guerres-25-ans-apres-l-arrivee-d-omar-el-bechir.html
On le sait, les miliciens Janjawids, auteurs des pires abominations sur les populations civiles du Darfour depuis 2003, sont rétribués avec les bénéfices du pétrole. Des avions Antonov ont été achetés en devises étrangères aux Russes pour bombarder les villages et des armes chinoises ont été livrées pour équiper l’armée soudanaise dont le ministre de la Défense, le général Abdelrahim Mohammad Hussein, est poursuivi par la CPI. En 2005, le Secrétaire général de l’ONU Koffi Annan, déclarait déjà que "le Darfour est l’enfer sur terre".
Le 1er février 2005, le rapport de la Commission d'enquête de l’ONU sur les violations des droits de l'homme perpétrées au Soudan confirme que le gouvernement soudanais et les milices Janjawids ont commis des crimes contre l'humanité et que, dans la mesure où le système judiciaire soudanais ne peut ou ne veut y faire face, ils relèvent de la Cour pénale internationale.
Or la banque, si soucieuse de sa réputation, a néanmoins continué ses affaires avec le Soudan jusqu’en 2007, selon ses dires…
Ce n’est pas tout. Depuis leur arrivée au pouvoir par un coup d’Etat en 1989, les islamistes ont fait de Khartoum une plaque tournante du djihadisme. Ben Laden y avait trouvé refuge ainsi que Carlos, avant d’être extradé en France.
L’Université islamique forme et a formé des cadres de toute la région. De là viennent des activistes de la SEDEKA qui tuent nos soldats en RCA, des groupes djihadistes du Mali avec qui nous sommes en guerre, des shebabs somaliens…La BNP a fait des affaires avec les parrains de ces gens-là.
Une histoire trouble, qui sème le doute
On est en droit de se demander quelle crédibilité accorder à la France, membre du Conseil de sécurité. D’un côté, "la patrie des droits de l’homme" vote la saisine de la CPI à propos des crimes commis par le gouvernement soudanais, de l’autre sa principale banque permet à Khartoum de trouver les ressources pour continuer ses exactions contre les civils au Darfour.
On imagine que les dirigeants islamistes, bien au-delà du Soudan, n’ont que mépris pour les leaders et les patrons occidentaux. Le président François Hollande et le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius ont défendu la BNP en reconnaissant la faute de la banque au regard de la législation américaine, mais ont réclamé plus de proportionnalité en ce qui concerne les sanctions.
Cependant rien dans les commentaires des dirigeants français n’indiquent qu’ils aient demandé à l’établissement français plus de discernement dans le choix de sa clientèle. Aucune recommandation n’a été faite pour éviter de commercer avec un gouvernement accusé des pires crimes, lui facilitant ainsi les moyens pour continuer à les perpétrer.
Quand la BNP a connu de grandes difficultés et qu’elle a bénéficié de prêts de l’Etat, le gouvernement de droite de l’époque aurait pu demander que cessent ces pratiques immorales.
D’autant que la banque déjà avait été mêlée dans le passé au scandale de l’opération "pétrole contre nourriture", le système de corruption par Saddam Hussein des entreprises et de certains hommes d’influence, dont plusieurs français.
La BNP était LE banquier officiel du programme mis en place par l’ONU. Elle était, selon le rapport définitif de la commission Volcker, la commission d’enquête parlementaire américaine, "en position d'avoir une connaissance de première main" des paiements illégaux réclamés par le régime de Saddam Hussein, mais n'aurait "pas reconnu une responsabilité particulière d'informer l’ONU de manière adéquate"...
Mais quand on commence à s’intéresser aux antécédents de la BNP, il est stupéfiant de constater que l’honorable banque française était mêlée à la violation de l’embargo sur les armes, voté notamment par la France, au profit des génocidaires rwandais en juin 1994 [1]
L'opinion trop indulgente avec ce fleuron national ?
Reste un dernier élément et non des moindres. A propos de cette affaire de la BNP, la lecture des analyses faites dans la presse hexagonale et les commentaires sur les sites internet s’avèrent dérangeante.
A quelques exceptions près, outre le déchaînement d’anti-américanisme attendu, peu s’émeuvent que la banque ait fraudé la loi américaine pour faire du "business" avec un régime accusé de crimes contre l’humanité où qui soutient le terrorisme islamiste.
Les droits de l’homme tiennent plus alors de la posture que d’une vraie référence morale. Au fond les dirigeants de la BNP sont assez en phase avec une bonne partie des élites françaises.
[1] Lettre de Koffi Annan , secrétaire Général de l’ONU, au Conseil de Sécurité UNICOI, Additif au 3e rapport, 22 janvier 1998, ONU S/1998/63, section 21.
http://www.francerwandagenocide.org/documents/sg-1998-63.pdf
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