David Scheffer
Depuis que j’anime ce blog j’ai eu l’occasion de traiter de nombreux sujets qui d’une façon directe ou indirecte étaient en lien avec l’action humanitaire sous toutes ses formes. C’est pourquoi je vous propose de partager avec moi mes lectures sur cette thématique. Cette première note de lecture concerne un ouvrage écrit par l’ambassadeur américain, chargé à la fin des années 90 des crimes de guerre et de la justice internationale.
Son point de vue est particulièrement intéressant car David Scheffer nous raconte ici le combat qu’il livre pour sensibiliser les américains à la justice internationale dans un pays où la classe politique est majoritairement opposée au droit international. Un combat perdu d’avance ? Pas tout à fait !
David Scheffer
« All the Missing Souls »
“A personal History of the War Crimes Tribunal”
570 Pages
Editeur Princeton University Press
J’ai eu le plaisir de rencontrer à plusieurs reprises David Scheffer à New York lors des négociations pour le Cour pénale internationale lorsque je faisais partie de la délégation de la Coalition française pour la Cour pénale internationale. David Scheffer était l’ambassadeur américain en charge de crimes de guerre et de leur répression de 1997 à 2001 pour l’administration Clinton et à ce titre spécialement en charge du dossier sur la Cour pénale internationale. David était le premier ambassadeur américain en charge d’un tel dossier et il avait parfaitement conscience de l’enjeu de sa fonction et du challenge qui l’attendait. Les conversations que nous eûmes montraient combien David était personnellement dans une position inconfortable entre une administration méfiante et une classe politique américaine, toutes tendances confondues, hostiles à une ratification par les Etats-Unis d’un traité de ce type, lui qui, par conviction personnelle, considérait qu’une juridiction internationale permanente pour juger les crimes le plus graves était une nécessité politique absolue au niveau international. N’oublions pas que nous étions alors deux ans après le génocide « Rwandais » et quatre ans après le début de la guerre en ex-Yougoslavie.
Dans ce livre David Scheffer nous montre le combat qu’il lui fallait d’abord mener au sein de l’administration américaine pour tenter de convaincre du bien fondé d’une justice internationale mais aussi plus simplement pour attirer l’attention des dirigeants sur les crimes qui se commettaient sous leurs yeux et éviter que le passé ne se reproduise.
Scheffer raconte comment les autorités françaises ont refusé d’arrêter Radovan Karadzic malgré toutes les informations fournies et comment Madeleine Albright va s’interposer pour éviter un clash entre lui et les autorités françaises. A cet égard la complicité du ministre Alain Richard ne fait aucun doute. Bien que ce dernier nie cette évidence. Une confrontation judiciaire à cet égard serait intéressante. Mais le livre de Scheffer révèle avant tout une contradiction essentielle pour ce qu’en France nous pourrions appeler un grand commis de l’état : celle d’un homme se battant pour la construction d’un droit international effectif face à un pays qui considère majoritairement que le droit international concerne les autres eu égard au rôle spécifique des Etats-Unis dans le maintien de la paix dans le monde.
Le succès de Scheffer aura été d’amener l’administration Clinton à suivre avec intérêt les négociations à ne pas les « dynamiter » et à signer le traité. Un livre intéressant qui laisse entrevoir la tristesse d’un homme dans sa conscience d’un échec mais qui a su sensibiliser la classe politique américaine aux crimes de guerre et à la justice internationale et qui aujourd’hui dans son rôle de professeur continue de faire passer le message qu’il ne doit pas y avoir d’impunité pour les auteurs des crimes les plus graves.
Francisco Rubio
Professor à Webster University
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