Droit d’ingérence, devoir d’ingérence,
« ingérence humanitaire » et situation en Lybie.
« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement – Et les mots pour le dire arrivent aisément ».
Nicolas Boileau-Despréaux . L’art poètique, 1674.
Le mot ingérence fait peur. Il rappelle le sinistre époque de la politique de la « canonnière ». C’est pourquoi j’ai dans mon précédent bulletin clarifié la notion d’ingérence entre Etats et précisé le cadre juridique des relations internationales d’aujourd’hui (voir Humeurs N°8).
Alors quelles différences entre le droit d’ingérence étatique et l’ingérence humanitaire ? Quand le fondateur de Médecins sans frontières et de Médecins du monde, Bernard Kouchner a, à la fin des années soixante dix, relancé le concept de droit d’ingérence avec l’appui d’un éminent juriste, le professeur Mario Bettati, à quoi pensait-il exactement ? A l’action armée des Etats dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations unies (voir) ? A l’intervention d’acteurs privés sur le terrain pour porter secours aux populations dans le droit fil du tout récent (à l’époque) mouvement « Sans frontièriste » ?
Tentons d’expliciter ces concepts confondus les uns avec les autres pour le plus grand préjudice de l’opinion publique qui ne s’y retrouve pas.
D’abord l’action humanitaire.
Comment peut-on définir l’action humanitaire ? Aujourd’hui on a tendance à ranger sous le vocable « action humanitaire » un peu tout et n’importe quoi. C’est ainsi que l’on y range, y compris sur le site de grandes ONG, des politiques d’aide au développement, de micro crédit, des programmes de santé, etc. Cela contribue à brouiller l’image de la réalité de l’action humanitaire et à rendre son message totalement inaudible.
L’action humanitaire est tout simplement en temps de crise, humaine ou naturelle, l’allègement des souffrances des populations.
L’action humanitaire n’est en aucun cas une action de développement ou de soutien à des programmes de santé.
D’ailleurs, il existe une définition juridique de l’action humanitaire qui est aujourd’hui encadrée par des conventions internationales précises comme les Conventions de Genève du 12 aout 1949 ou la convention de Genève sur le droit des réfugiés de 1951. Au total plus d’une centaine de traités. Il faut ici souligner que les conventions de Genève ont été signées et ratifiées par plus de 188 Etats, c’est à dire par plus d’Etats qu’il n’y a d’Etats membres des Nations unies. L’organisation emblématique de ce type d’action est le Comité international de la Croix Rouge qui existe depuis 1863 et a été fondé, entre autre, par Henry Dunant.
L’alpha et l’Omega de cette action passe par le respect de la souveraineté des Etats et la mise en œuvre de l’action est confiée à des organisations humanitaires.
Qu’appelle-t-on « mouvement sans frontiériste » ?
Les organisations « sans frontièristes » sont nées dans le sillage des mouvements soixante-huitards en réaction à la politique de la Croix Rrouge. Les « sans frontiéristes » respectent les Conventions de Genève dans leur esprit. C'est-à-dire que les « sans frontièristes » considèrent que le besoin humanitaire de la population est essentiel et donne le droit aux ONG de s’affranchir du respect des frontières et de porter secours aux populations. L’individu prime l’Etat dans l’esprit parfait de la philosophie du Siècle des Lumières qui a mis l’Homme au centre des préoccupations.
L'ingérence humanitaire
Donc l’ingérence humanitaire c’est tout simplement le droit que s’octroient les ONG « sans frontièristes » d’intervenir sur le terrain, directement auprès des populations, au nom des principes supérieurs du droit des populations à une aide humanitaire.
Alors par rapport à la Lybie comment articuler toutes ces notions ?
En réalité juridiquement les choses sont « simples » : les Etats ne peuvent intervenir que dans le cadre de la Charte des Nations unies après autorisation du Conseil de sécurité si ce dernier considère qu’il y a dans le cadre du Chapitre VII une menace à la paix ou une situation humanitaire qui le justifie, selon la dernière évolution politique de l’interprétation de la Charte.
Le feront-ils ? C’est peu probable pour plusieurs raisons. D’abord il faudrait que les cinq Membres permanents du Conseil n’opposent pas un veto. On voit mal à cette heure précise la Chine ou la Russie ne pas opposer un veto.
Mais à considérer qu’il n’y ait pas de veto, la situation humanitaire actuelle peut-elle justifier une action militaire ? Cela reste à prouver.
Reste donc « l’ingérence des humanitaires » : la situation lybienne peut justifier une action des organisations privées. A leurs risques et périls. Mais c’est leur honneur, leur courage et leur raison d’être qui sont ici questionnées. Comme chaque fois dans ce type de situation. L’ingérence humanitaire des ONG répond à l’impératif éthique et juridique du droit pour les populations de recevoir une aide. Ce que les deux résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies avaient en leur temps rappelées*
*Nous reviendrons dans un autre bulletin sur les résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies, dites "résolutions du droit d’ingérence", qui méritent une explication car elles sont à l’origine de grandes confusions.